En raison de la rigueur et de la longueur des hivers jurassiens, les habitants prirent vite l’habitude, dès le Moyen Âge, de transformer le lait de leurs vaches en un fromage «de garde» qu’on appelait alors le «vachelin». Pour permettre une conservation de longue durée, il s’avéra nécessaire de fabriquer des fromages de grande taille et à pâte pressée cuite.
C’était le seul moyen de pouvoir disposer dans sa cave d’une quantité suffisante de fromage pour la famille entière pendant toute la durée de la saison froide. Plus étonnant encore: on s’aperçut que, dans de bonnes conditions de conservation, plus les mois passaient, plus le fromage se bonifiait. Un bonheur de plus dans l’attente du printemps et des prairies à nouveau verdoyantes et fleuries.
Comme ces grandes meules nécessitaient d’imposantes quantités de lait (500 litres pour une meule de 42 kg), les éleveurs se regroupèrent pour former des sortes de coopératives, qu’on appela des «fruitières», attestées depuis 1264-1280 à Déservillers et à Levier, dans le département actuel du Doubs. La Franche-Comté connu bien vite des centaines de fruitières à «vachelin» (pas moins de 700 au 18e siècle).
Le comté est un fromage à base de lait de vache de race montbéliarde ou simmental française, ou encore de vaches métissées des deux races. Champion toutes catégories, le comté, en raison de sa qualité exceptionnelle, est le fromage AOC (appellation d’origine contrôlée) le plus vendu dans le monde (plus de 50000 tonnes en 2006).
Le 17 juillet 1958, il est devenu le premier fromage français à bénéficier de cette fameuse AOC mais, dès le 22 juillet 1952, le tribunal de Dijon avait déjà défini sa zone de production dans les limites géographiques de la Franche-Comté. Le cahier des charges imposé pour cette appellation est devenu de plus en plus exigeant au fil des ans afin de garantir le respect de l’environnement et de la biodiversité.
Son goût et sa texture se déclinent suivant ses périodes de fabrication (pâte jaune dès la «mise à l'herbe» des vaches au printemps, beaucoup plus blanche en hiver lorsque le bétail est nourri à l’étable) et suivant son degré d'affinage car, en vieillissant, le comté va développer ce que l'on appelle improprement des «grains de sel» au sein de sa pâte; «grains de sel» qui ne sont, en fait, que des amas de tyrosine, un acide aminé composant des protéines lactées.
La durée d’affinage du comté est au minimum de quatre mois mais cette durée ne saurait garantir l’excellence qu’on est en droit d’attendre de ce roi des fromages. Un affinage, digne de ce nom, dure en moyenne de six à vingt mois. Les affinages de 16 à 21 mois, voire de 24, donnent des comtés dits «de longue garde». Plus de vingt-quatre mois, c’est rare et le goût d’un tel comté, plus typé, plus «musclé» fait qu’il constitue le bonheur des seuls vrais connaisseurs (à ne pas offrir, par conséquent à des néophytes).
Il existe même à Paris un marchand de fromages qui propose du comté sorti des caves après 60 mois d’affinage, mais en le réservant à des aficionados avérés dont il fait le bonheur. Les fromages qui n’ont connu que quatre à six mois d’affinage seront plus doux et plairont donc davantage aux enfants. On peut aussi utiliser ces fromages bien jeunes dans la cuisine, les salades, etc.
Il est possible de découvrir la façon dont le comté s’affine au fil des mois lors de visites guidées (avec dégustation): aux forts de Saint-Antoine (65000 meules) dans le Doubs, et des Rousses (140000 meules) dans le Jura, dans les caves de Vevy et de Montmorot (un conseil: penser à se vêtir chaudement).
Il faut savoir que toutes les meules de comté sont marquées afin d'en assurer la traçabilité: on peut retrouver pour chaque fromage la fromagerie d'origine ainsi que le numéro de lot, c'est-à-dire la cuve et le jour de fabrication, qui donneront des fromages identiques entre eux.
Chaque meule de comté fait l’objet d’une notation sur un maximum de 20points. Cette notation sanctionne tout à la fois le goût mais aussi l’apparence extérieure de la meule. Les meules qui obtiennent une note supérieure à 15points reçoivent une bande verte. Celles qui obtiennent une note comprise entre 12 et 15points, une bande brune mais il faut savoir que cette note légèrement inférieure peut seulement sanctionner un léger défaut d’aspect alors que, par ailleurs, le fromage est excellent. Néanmoins et pour être certain de ne pas se tromper, la bande ornée de petites cloches vertes qui entoure la meule est une garantie absolue de se trouver devant un fromage d’une qualité exceptionnelle.
N. B.: Les meules qui n’atteignent pas la note de 12 sont retirées des lots «Comté» et on les destine plus modestement à la fabrication de fromages fondus.
Notre conseil : la pâte fine et compacte du comté (à ne jamais confondre avec l’emmental, fromage à trous), avec son petit goût de noisette, se marie à la perfection avec des vins régionaux comme un Côtes du Jura ou un Savagnin.
Écrit par Jean-Marie Thiébaud.
Crédit photos - Maison du Comté - Poligny